Les aventures absolument tranquilles de Mozzarella (quoiqu'un type a dit : "tout est relatif") entrecoupées d'interludes qui ne sont pas sans contenir une inutilité obscure au profit d'un éphémère et léger divertissement.

Réclamation.

Mozzarella regardait tristement le ciel gris à travers les grillages du bureau. Qui suis-je, où vais-je, dans quelle étagère ? Il faut dire que tout l'ennuyait, au boulot. Les coups de téléphone récurrents, les remarques cinglantes, les doigts pointés sur sa face comme si elle était l'archétype d'une anomalie terrifiante... et cet écran d'ordinateur imbécile, greffé à 50 centimètres de son visage à longueur de journée !
"Allons donc ! Point trop n'en faut !" se disait-elle, songeuse. "Quittons la fosse aux serpents et concentrons-nous sur ce qu'il reste d'humanité, quelque part ailleurs !" Elle se sentait tout à coup l'âme d'une bienfaitrice de la Croix Rouge. "Et pourquoi donc ne partirais-je pas en Afrique ?" C'est bien volontiers qu'elle aurait sauté au coup du premier type brandissant une ultime pétition pour sauver le tiers-monde, convaincu de déclencher à lui seul une prise de conscience dans le cerveau gluant de la civilisation occidentale.
"La vie est si compliquée que j'en perds une chaussette chaque jour. N'y a-t-il donc que les steaks qui soient faciles à cuire ici ? Et encore ! Pour peu que la Tefal soit moisie ou la margarine de mauvaise qualité..."
O désespoir !

Les vers baudelairiens n'étaient désormais plus une consolation, non plus que les films d'amour à l'eau de rose. Il fallait se centrer sur l'essentiel. Mais quel essentiel ? Celui des batifolages insolents du printemps, à l'éphémérité vomitive ? Celui des intempestifs marivaudages, grouillant dans les bars à exposition plein sud ? Ou celui encore de la revendication syndicaliste contre la limitation des cafés serrés en zone urbaine, qui font des plus endormis les plus angoissés ?
Non non. Voyons, on n'y était point du tout. Peut-être n'était-ce qu'une question de forme, au fond. Rester dans ce monde polyangulaire, troquer sa carcasse cubique contre une sphère aérienne... rebondir sur les zones dangereuses pour les laisser loin derrière soi, contrôler ses atterrissages en surface épineuse, et rouler-bouler sur le patronat vociférant...
C'était donc cela !
Ou alors ? Quoi ? Il fallait gratter la couche superficielle jusqu'à tomber sur un os ! Et quel os ! Les catacombes parisiennes en regorgeaient ! Et ça n'était pas de moindre qualité !

Heureusement que la publicité mensongère était là pour nous rappeler à la foudroyante réalité. La tête enfarinée d'une ex-blonde peroxydée s'extasiant sur un yaourt bio ? Rien de plus rassurant. Il suffisait de courir au supermarché dans l'espoir de faire corps avec le produit ; le serrer contre son coeur, en attendant patiemment son passage en caisse, tout en laissant flotter un regard vide et non moins bienheureux sur les paquets de chewing-gums ultra-fresh.

Loin de l'enfance, loin du monde... adieu paix insouciante, bonjour goudron sans coeur ! Combien de fois a-t-il fallu joncher ton odieux nappage de corps ivres, tout juste sortis du premier troquet, imbibés d'anisette et de gnôle jusqu'à ne plus connaître la verticalité ? Des cirrhoses du foie, voilà ce qui allait balayer les angoisses de la société sans âme, gouvernée par les égoïstes de la plus rare espèce !

Ainsi donc le Malheur sort toujours accompagnée de la Débauche, sa fidèle cavalière ! Ces amants-là ne se crêpent le chignon que rarement. Ni résurrection, ni véritable amour possible dans cette écorce concupiscente ! Seules l'avarice et l'ambition névrotique sont de mise sur le plateau de l'existence ! Et c'est bien connu, le plateau est réservé aux perdants. Heureusement, la coupe était pleine.