Les aventures absolument tranquilles de Mozzarella (quoiqu'un type a dit : "tout est relatif") entrecoupées d'interludes qui ne sont pas sans contenir une inutilité obscure au profit d'un éphémère et léger divertissement.

vendredi 31 juillet 2009

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les PC (sans jamais oser le demander)

Allons bon. L'ordinateur fait encore des siennes.
Dans ces moments-là, il faut prendre sur soi. Le self-control est un élément essentiel dans le processus de réflexion. Tout bien vérifier. Regarder si la prise est branchée. Si la petite lumière verte ne clignote pas. Si le disque dur ne fume pas. Mais non, tout est en ordre. Peut-être tapoter un peu l'écran, alors. Toujours rien. A moins que la souris soit mal branchée. Mais non, pourtant. Le fil est intact. Ah! et le clavier, la dernière fois, il y avait un souci avec l'infra-rouge. Curieux, ça aussi, ça a l'air en ordre. Bon bon bon, réfléchir encore un peu. Et si on redémarre...? Oui, mais dans ce cas, il faudrait y voir déjà quelque chose sur l'écran. Or il fait tout noir, là-dedans, là-dessus. On ne peut pas cliquer sur la petite fenêtre avec la flèche. Sinon, appuyer directement sur le gros bouton magique de la tour. Sacrés PC, ils n'auront jamais l'élégance des Mac. Et si jamais les données étaient endommagées? Oh, en même temps, il n'y a rien de spécial à sauvegarder, à part son sang-froid. Bon. Le gros bouton, alors. Et toc! Une pression efficace, pas trop lourde, juste ce qu'il faut. Patienter, patienter... rien. Mais enfin, c'est tout de même bizarre! Le self-control, le self-control. Une petite toux, un léger soupir. Un doigt grattant le crâne, le menton, le nez. Une main sur la hanche. Un petit trépignement de pied. Et puis toujours, cet écran noir. Un tout petit agacement qui vient de l'intérieur. Allons, reprenons. Polom pom pom. Et si on retapotait l'écran? Ah tiens, il s'est passé quelque chose...on dirait que le clavier a bougé. Enfin, c'est idiot, un clavier ne bouge pas tout seul! Bon. La prise...? Une nouvelle vérification s'impose. Mais c'est bien ça, elle est parfaitement branchée. Bon bon bon. Alors, la touche Echap, peut-être? Oui, évidemment, ça ne sert à rien. Allez, l'écran va bien s'allumer. Self-control. Encore un petit tapotement...BORDEL DE MERDE! FUCKING MACHINE! ET PRENDS CA DANS LA TRONCHE!

De toute façon, il fallait en acheter un autre.


Interlude - Au restaurant

On m'avait pourtant bien dit que ce restau n'était pas bon. Et ce vieux dégueulasse qui mange sa soupe avec ce bruit infernal. Et cette édentée dans le coin, qui mastique chaque bouchée pendant des heures. Et ce chat sinistre, qui monte sur les tables et y laisse les poils dégoûtants qu'il vient de lécher. Et ce lustre horrible, qui éclaire vaseusement la pièce. Et ce plancher, tordu et bruyant, sur lequel les clients font claquer leurs talons. Et cette table bancale, qui tangue lorsque je repose mon verre et que je coupe ma viande. Et cette patronne grasse, qui sourit vulgairement à chaque homme avec son décolleté provoquant. Et ces couverts sales, qui donnent la nausée à chaque fois qu'on les porte à la bouche. Et ce faux intellectuel, qui se planque derrière son journal pour mieux reluquer la patronne. Et ce chien agonisant, qui dort toute la journée au pied du comptoir et qui sent mauvais. Et ce serveur à l'oeil sombre, qui traîne des pieds. Et ce dandy mal fagotté, qui fume son cigare nauséabond. Et ce patron gras comme sa femme, qui surveille tout le monde d'un air soupçonneux. Et ces marées d'huile sur le tiroir-caisse, qui sentent jusqu'au dehors. Et ces parfums d'alcool fort, qui anesthésient les âmes. Et ce clochard sénile, qu'on jette à coups de pied. Et cet enfant maigre sur le trottoir, qui colle sa bouche contre la vitre. Et ce torchon pourri, qui sèche sur une chaise. Et cette tête de cerf empaillée, qui me regarde fixement. Et ces visages morts, qui contemplent leurs assiettes. Et ce bruit de casseroles, qui éclate les tympans. Et cette misère humaine, qui me fait fuir si loin.


Les philosophes bouchent les trous de l'univers avec les lambeaux de leurs robes de chambre

Ca y est. Vendredi. La libération était proche. Résolument déterminée à s'encanailler de la théorie du verre à moitié plein, Mozzarella ne voyait plus que de petites heures avant un envol joyeux vers les cieux du week-end. Finalement, la semaine était passée vite. Du lundi au vendredi, il n'y avait qu'un petit pas.
Ce qui était effrayant, c'est qu'une majeure partie de la population vieillissante affirmait, sans avoir le souci d'apaiser les angoisses de la jeunesse, que plus on avançait dans l'âge, plus le temps passait vite. Ainsi, Mozzarella avait fini par se convaincre que les semaines défilaient décidément d'une façon exponentielle. Que le monde n'était plus ce qu'il était. On avait beau lui dire: "Mais enfin, tu es jeune, tu crois vraiment que tu as besoin de t'encombrer de ces réflexions pour te faire gober par la métaphysique?", elle répondait qu'elle préférait se mettre au parfum plutôt que de sombrer dans la désillusion tôt ou tard.
Tout de même, elle en voulait un peu aux incontinents. Elle les sentait, au mieux, résignés sur leur sort et emprunts d'un dérangeant renoncement - qu'ils communiquaient avec le pathos d'un animateur de show télévisé - , au pire, maladivement jaloux des candides innocents - ce qui les traînait tout droit vers une forte décrépitude. Seule Grand-Maman et quelques autres personnages semblaient échapper à cette monstrueuse auto-condamnation.
Mozzarella réalisait tout à coup ô combien il était important d'orienter son existence. Et tandis qu'elle se gavait de bonbons pour éviter de sombrer dans un état comateux dès dix heures du matin, elle pensait à Freud, ce dingue qui avait balancé à la pause déjeuner : "Si tu veux faire une analyse, il faut que tu sentes les billets qui foutent le camp." Et si l'existence prenait un sens en ce qu'elle contenait d'inutile? Mozzarella s'égarait trop. Mais enfin, dès lors qu'un sandwich avarié, un genou cassé, une ampoule de chiottes grillée, un train raté, ne devaient pas poser de problème, si RIEN n'était grave, si on devait se foutre de ce fameux TOUT royalement, jusqu'à ce qu'il glisse parfaitement sur les fourmis humaines, même sur la peau résistante et rugueuse des dubitatifs, que restait-il alors, sinon que dalle, sinon cet incroyable néant qui nous chuchotait : "Hé hé, c'est moi, c'est pour ça la vie, pour rien, comme ça, un pari avec un pote." De quoi s'en prendre à tout et n'importe quoi - et aussi n'importe qui. Quelle injustice! Platon aurait mieux fait de la fermer plutôt que de donner à ses petits successeurs la mauvaise idée de continuer dans sa branche et de développer des théories de plus en plus hasardeuses. Lui et son étonnement à la noix! On ne l'aurait pas invité au banquet, tout se serait très bien passé. Bande de nuls.


jeudi 30 juillet 2009

Interlude - Si par les saisons des pigeons

La vieille se tenait là, assise sur son banc sale, et jetait des graines aux pigeons. Ses gestes, mesurés, un peu las, se répétaient indéfiniment, tous semblables. Le bras se levait, se pliait, plongeait une main mécanique dans le sac de graines, ressortait lentement, se dépliait, et dans un geste imperceptible, projetait la main au-dessus du sol jusqu'à ce qu'elle s'ouvre entièrement et lâche au gré du vent ce qui devait nourrir la volaille imbécile.
Tout était immuable; seul, le ciel changeait de couleurs, par-delà les heures.
La vieille était bien, là, sur son banc sale. Rien n'aurait pu la détrôner, si ce n'est le sifflet d'un agent de police, qui la faisait régulièrement déguerpir à une heure avancée. Elle se levait alors douloureusement, époussetait avec colère sa robe de laine trouée, et s'en allait clopin-clopant se jeter dans les brumes de la ville assombrie.
Puis, il y eut un jour où les pigeons attendirent leur repas, en vain. A la tombée de la nuit, les ingrats s'en furent trouver un autre banc sale, près d'une autre vieille.


Interlude - Sur les toits

" - Hé, toi là-bas!
- Moi?
- Non toi!
- Qui ça, moi?
- Oui, toi, là!
- Moi?
- Mais non, pas toi! Toi!
- Moi?
- Oui, oui, toi!
- Ben quoi?
- Ben toi, là!
- Ah!
- C'est toi?
- Oui c'est moi!
- Ah bon, je croyais que c'était toi."


Mozza en pause café

Mozzarella s'était récemment découvert une addiction. Oh, rien de méchant bien sûr, une addiction qui somme toute, se révélait être tout à fait banale dans le quotidien des mortels. Mais c'était précisément cet aspect ordinaire de la chose qui perturbait Mozzarella. Elle aurait souhaité être accro à un produit qui soit un peu plus incroyable que ça. Et pour cause : il s'agissait du café.
Le premier café n'est jamais bon. Mozzarella, rétrospectivement, se demande pourquoi elle s'est tant forcée à en boire au début ; à peine avait-elle avalé la première gorgée qu'elle sentait la nausée monter, et elle continuait, en se disant que si tout le monde en buvait, c'est que ça devait être un truc chouette. Raisonnement parfaitement stupide, surtout quand on découvre, à l'heure de la rébellion, frappé par une courte crise de lucidité, que les goûts et les couleurs ne se discutent pas.
Mozzarella avait lu récemment, dans des magazines de bio-santé(-sérénité-mangez-léger-digestion-transit-conseils-docteur-hypochondrie-vas-y-tu-paies-10-euros), que le café était décidément très mauvais pour le foie et le corps et les nerfs. Mais à présent, Mozzarella avait basculé du côté obscur. Elle ne pouvait se passer d'en ingurgiter des litres et des litres, jusqu'à ce que son coeur s'emballe et qu'elle sente des palpitations jusqu'au bout des tripes. Alors là seulement, elle se disait : "Faut que j'arrête."
Arrêter, et puis alors? Elle aurait été bien avancée de se réjouir quotidiennement en se frottant les mains, sautillant, et se répétant " x jours maintenant que j'ai arrêté le café ! " comme ces types dépossédés d'une distance nécessaire sur les choses et qui se raccrochent désespérément à un changement dans leur existence, le plus infime soit-il. Elle aurait fini dans un état pitoyable, proche de la démence, et on l'aurait retrouvée errant seule dans les rues, en chemise de nuit, les yeux hagards et vides, traînant des chiens plein de tiques, et déclamant en boucle : "J'ai arrêté le café, j'ai arrêté le café". Triste fin. Surtout pour du café.
Du coup, Mozzarella trouvait sa liberté individuelle dans l'absorption de ce liquide dévastateur. Maintenant que les lois planaient sur le monde pour un oui ou pour un non, elle cultivait un idéal qui échappait aux règles : "Boire du café quand ça me chante"... ô Epicure sur ton chemin divin, tâche de toujours illuminer ceux qui ont la foi pour le foie.


mercredi 29 juillet 2009

Interlude - "Et tout ça pour du beurre"

Midi. L'heure du crime. Un homme sort son couteau. C'est sur la tartine qui se présente presque face à lui, à quelques degrés de différence selon l'axe résolument déterminé par la pointe de son nez grec et le centre de la fenêtre de la cuisine, qu'il étalera, avec application et monotonie, la margarine que sa femme a ramené ce matin même du supermarché, rapport à un taux de cholestérol élevé.
L'homme est méticuleux. Et gros. Et gras. Il ne se lassera pas de répartir uniformément la margarine, jusqu'à ce qu'elle soit blanche. Vingt ans qu'il étale du beurre. Le changement avec la margarine l'a surpris, mais il s'en accommode. Il siffle un air joyeux, et s'arrête de temps à autre pour soupirer fort. Comme il est méticuleux, gros et gras, il sue. Sa femme a toujours détesté le voir suer, mais il n'y peut rien, c'est ainsi que la nature l'a fait. Alors même si elle est dégoûtée, elle s'est accommodée de cet état de fait, tout comme lui s'accommode de la margarine. Tout est une question d'habitude. L'homme sait qu'il s'habituera à étaler sa margarine comme il s'est habitué à étaler son beurre.
Le beurre lui avait demandé davantage de maîtrise technique que la margarine, en le sens que sa consistance était moins molle. Il avait dû, avec patience et application, apprendre au fil des jours à tartiner la biscotte selon l'acuité des perfectionnistes. Il commençait toujours par le bord, puis revenait au milieu progressivement, pour qu'il n'y ait point de cassure ni d'émiettage. L'homme méticuleux, gros et gras, était fier de lui.
A midi trois, sa femme ouvrit la porte d'entrée. Il entendit ses talons aiguilles claquer contre le parquet. Cela le contraria. Il poussa un grognement exaspéré, se recula brusquement de la table, et hurla: "Combien de fois t'ai-je dit: pas de talons sur le parquet!" Sa femme, dans un élan philosophique, s'écria: "Il y a des choses auxquelles on ne s'habitue pas." L'homme méticuleux, gros et gras dit alors: "La margarine c'est dégueulasse, il y a des choses auxquelles on ne s'habitue pas." Et ils divorcèrent promptement.


Avec ou sans glaçons?

Un célèbre proverbe esquimau dit: "Petite poussière dans l'oeil cache grand iceberg". C'est avec l'incontestable profondeur de la symbolique prêtée à cette phrase que Mozzarella, en ce jour, s'installa sur son siège de bureau. Elle se dit: "Voilà le problème. Il doit y avoir quelque chose qui m'empêche de voir la réalité telle qu'elle est. Il faut que j'en parle à mon cheval." Elle décida donc d'aller s'épancher auprès d'un pur-sang, et ce dès la sortie du boulot. Le pur-sang, du reste, était un vieil ami, dont les conseils se révélaient toujours sages et intelligents. Lorsqu'elle se trouva face à lui, Mozzarella lui fit part de ses interrogations sur le monde qui l'entourait. "Tu comprends, pleurnichait-elle, s'il y a des choses qui m'échappent, ma réalité est biaisée. Et je ne veux pas de ça. Il faut que tout soit transparent, maintenant. Ou alors je vais finir comme ces névrosés qui laissent glisser sur eux tout ce qui les entoure. Jean-Sol Partre aurait pu donner un petit coup de punch à l'existence, quand même. Et au lieu de ça, il a conditionné les plus faibles pour subir tout et n'importe quoi." Le pur-sang écoutait avec beaucoup d'attention, sans rien dire. Il laissait Mozzarella s'enfoncer dans un discours dont le pathétisme n'allait pas sans une pointe d'incohérence. Finalement, il la stoppa en soufflant fort par les nasaux, et dit simplement: "Tu te montes le bourrichon pour rien. C'est l'été, il y a des oiseaux qui chantent, du soleil, de la verdure pas trop sèche. Et toi, au lieu de profiter de ce que la nature nous accorde, tu pourris ta vie intérieure. Est-ce que je te parle du foin que ces imbéciles me donnent à manger tous les jours, alors que ça fait des lustres que ça me rend malade parce que j'étais carnivore dans une autre vie? Mais j'ai toujours mon auge pleine. Je suis positif ; soit positive un peu aussi."
Mozzarella rentra chez elle toute déconfite. Le pur-sang l'avait achevée. Et puis elle eut un mouvement de colère: "Oh celui-là aussi, avec ses grandes leçons moralisatrices et son désir de toujours voir le verre à moitié plein! Je vais trouver un autre moyen de m'en sortir."
Ainsi, tout le soir durant, Mozzarella resta assise dans son canapé, les bras croisés, à chercher une solution à son problème. Elle n'en trouva pas, et cela la rendit bien triste. "Il faudrait que je pense à faire mes lessives, se dit-elle. Je n'ai plus rien à me mettre." Et voilà comment soudain, au milieu des effluves de poudre Ariel et des tourbillons du tambour de la machine, à mi-chemin entre le matérialisme terrifant du quotidien et une inévitable spiritualité salvatrice, Mozzarella commença à entrevoir l'iceberg.


mardi 28 juillet 2009

Interlude en ut

Flûte
J'ai oublié mon luth
Dans ma hutte
Tiens! Et bien zut!
Et re-flûte!
Et ces poules en rut
Qui culbutent
Sur... TUT TUT!!!
Quoi? C'est quoi ton but?
Tu vois pas que je lutte
Assez sur cette bute?
Chut!
Et l'autre hirsute!
Flûte!


Métaphysique de la tapette à mouche

Ca y est. La crise était proche. Au boulot, Mozzarella, assise d'un air ahuri, comptait le nombre de mouches qui passaient devant elle. Elle se plut à établir des concepts mathématiques sans queue ni tête, rapport à des probabilités stupides et des calculs inintéressants. Ainsi, elle en vint à une théorie dont la suprématie n'avait d'égale que l'inutilité:
Si la courbe du vol de chaque mouche a pour fonction le carré de la distance du point de départ au point d'arrivée, divisé par la moitié du strabisme de Joe Dassin, alors le capitaine Crochet s'est converti au nihilisme et les Danone brassés ne sont plus ce qu'ils étaient. (Notons qu'entre les vols de chaque mouche est établie une interdépendance dont les plus sceptiques de nature seraient les premiers convaincus).
Et tandis que Mozzarella, soudain rêveuse, se félicitait de ce jeu d'esprit, elle élaborait un plan pour confectionner des tapettes à mouches révolutionnaires. Rien ne pouvait l'extraire de sa réalité intérieure. Des visages sans nom défilaient devant elle. Elle avait tout de même pu, au fil des jours, trouver quelques sosies de célébrités, et se vantait le soir, en mangeant ses pâtes au beurre, d'être une bien fine physionomiste.
Mais Mozzarella se rendait compte que quelque chose clochait. Et puis, elle était en colère, parce que Don Superhéro n'avait pas donné de nouvelles, rapport au manuel de superpouvoirs. "Enfin, après tout, il peut bien aller voir ailleurs si j'y suis, celui-là", se répétait-elle de temps à autre pour se donner de la contenance. Du reste, elle était trop hébétée pour avoir une pensée construite et fructueuse. La plupart du temps, elle se trouvait assise sur sa chaise, donnait des renseignements, envoyait des mails cordiaux, et tâchait de lire tout ce qu'elle pouvait lire.
Grand-maman l'appelait de temps en temps sur le poste fixe pour prendre des nouvelles et lui raconter ses dernières recherches actives de compagnon de route. Ca mettait un peu de piment, c'était drôle et sympathique. Puis Mozzarella revenait à la construction théorique de ses tapettes à mouches révolutionnaires, et l'après-midi se terminait ainsi. Elle rentrait le soir chez elle avec un épouvantable mal de dos, et s'endormait en s'acharnant contre les papillons de nuit qui surgissaient de son placard à chaussettes. Bienheureuse Mozzarella, rien ne pouvait détruire son petit train de vie tranquille où quelque chose clochait.


lundi 27 juillet 2009

Nouvel interlude

La patiente entra dans le cabinet du docteur.
Il la fit asseoir, la questionna sur ses maux.
Elle répondait par quelques phrases peu claires.
Le docteur décida de l'examiner. Il se réjouissait à l'avance de l'acte médical, car la patiente était très belle.
Il ne découvrit rien d'anormal. La patiente souffrait de troubles psychosomatiques. Il se dit qu'il ne pouvait rien faire pour elle, et l'envoya consulter un confrère.
Le confrère, après examen de la patiente, téléphona au docteur et lui demanda pourquoi il lui avait envoyé un cas pareil. Le docteur dit qu'il ne savait pas. Le confrère dit que ce n'était pas grave, car la patiente était très belle, et il envoya cette dernière chez un autre confrère.
La scène se reproduisit, identique à elle-même. Le second confrère téléphona au premier, lui demanda pourquoi il lui avait envoyé la patiente ; le premier confrère dit qu'il ne savait pas. Le second confrère dit que ce n'était pas grave, car la patiente était superbe, et il l'envoya chez un autre confrère.
La logique du déroulement, s'il en existe une, se répéta encore et encore, jusqu'à ce que la patiente soit de nouveau envoyée chez le premier docteur.
Lorsqu'elle entra dans son cabinet, elle dit : "Je ne sais pas pourquoi je suis venue chez vous, vous ne pourrez rien faire de plus pour moi que la précédente fois." Le docteur eut alors un large sourire, et dit: "Vous êtes sur la voie de la guérison. Votre mal réside en ce qu'on nomme le manque affectif. Vous avez été présentée à tous mes confrères, mais aucun ne vous a plu. Vous êtes revenue me voir, tout en sachant que je serais impuissant face à votre mal ; vous êtes donc ici pour d'autres raisons ; je devais un peu vous plaire. Marions-nous, et vous serez guérie." La patiente rougit, et dit oui. Les confrères assistèrent à la noce, et chacun se jura de ne plus se faire avoir.


Interlude

L'homme marchait dans les rues sombres. Il portait un imperméable gris foncé. Cependant, la mention de ce détail contient une menue importance, puisqu'il faisait nuit, et que la nuit, tous les chats sont gris.
L'homme sortit un paquet de cigarettes. Il en retira une, l'alluma d'un air nonchalant, à la façon des gangsters prêts à faire un coup magistral.
Il fit un petit signe de la main droite. Deux autres hommes vêtus d'imperméables jaunes le rejoignirent au bas d'un immeuble. Mais, la nuit, tous les chats sont gris.
Les imperméables jaunes-gris longèrent l'immeuble jusqu'à l'angle. L'homme en gris foncé se mit un peu en retrait derrière eux. Une lumière jaillit d'une fenêtre au-dessus de lui, et une femme en nuisette apparut. Ses cheveux tombaient souplement sur ses épaules dénudées, et s'il avait fait jour, on l'aurait trouvée très belle. Mais, la nuit, tous les chats sont gris.
L'homme en gris foncé fit un grand signe à la nuisette. Elle le lui rendit, puis disparut de la fenêtre quelques secondes. Les deux imperméables jaunes-gris guettaient toujours. La nuisette refit une apparition, et claqua dans ses doigts. Aussitôt, l'homme en gris foncé s'engouffra dans une petite allée sous la fenêtre. On entendit des pas dans un escalier, une porte s'ouvrir, un baiser furtif, un bruit de vaisselle, une conversation légère, un rire étouffé, puis un cri, une détonation. Le silence.
L'homme en gris foncé réapparut. Il alluma une autre cigarette. Les imperméables jaunes-gris abandonnèrent leur angle et le rejoignirent. Ils s'adossèrent au mur et croisèrent les bras en même temps. L'un demanda: "Alors, Al?" L'homme cracha la fumée tranquillement, et dit : "On y va, les gars. La soupe était ratée."


Et alors, quoi?

Mozzarella jeta hâtivement ses chaussures sur le parquet de l'entrée. Tout de même, quel imbécile, ce Gaston! Le narcissisme et la soif de gloire étaient des caractéristiques bien effrayantes. Gaston de la Narcolepsie, d'ordinaire si humble! Comme quoi, tout le monde pouvait à un moment donné virer de la carafe. Il n'y avait pas vraiment de règle à ce sujet, et l'humanisme dont tout individu faisait preuve dans sa vie était susceptible d'être rapidement balayé si le malheureux croyait un peu trop à son génie. Paix à l'âme des ambitieux.
Mozzarella regarda le courrier ; quelques jolies cartes postales qu'elle s'empressa de placarder contre le frigo, une ou deux factures qu'elle mit soigneusement de côté, des publicités dont elle lut le contenu en mangeant des céréales multivitaminées. Elle était à présent un peu désoeuvrée ; il lui faudrait prendre le taureau par les cornes pour se convertir à de nouvelles choses. Tout nécessitait un peu de pragmatisme, de ferveur, d'enthousiasme, d'authenticité. Elle le savait ; et alors, quoi! Tout le monde devait en passer par là, pourquoi pas elle?
Mozzarella s'écroula de fatigue sur le canapé. Elle aurait voulu boire un café glacé avec beaucoup de sucre dedans, jeter un oeil au magazine IKEA pour acheter une bibliothèque où elle mettrait plein de choses sympathiques. Mais elle ne bougeait pas ; un idiot avait dû faire une farce et mettre du plomb dans ses chaussures. A moins que ce ne soit un docteur qu'il eût fallu voir dans l'immédiat? Mais non, enfin, Mozzarella n'était pas malade. D'ailleurs, on lui avait conté une histoire qui l'avait refroidie à propos d'une visite médicale : le médecin, sans doute pressé de finir sa journée, avait tapé un peu trop fort sur le genou d'un patient lors des tests de réflexes ; le coup de marteau avait été fatal. Mozzarella se dit qu'elle échapperait bien à cet outil, surtout s'il devait se transformer, par la force des choses, en un instrument de torture. "Prudente pour prudente, je ne bougerai pas." Et elle fit bien, d'ailleurs ; car elle apprit le surlendemain que le médecin en question avait répété la bourde, et pleurait désormais amèrement en disant qu'il était temps de prendre sa retraite à défaut de vacances.
Mozzarella regarda les informations à la télévision. Une vieille dame avait été retrouvée égarée sur une grande avenue, alors qu'elle était invitée à déjeuner chez sa fille, et frappait les passants à coups de canne, il avait fallu la mettre de toute urgence en cellule de dégrisement ; à Ploucville, un jeune chien avait renversé un piéton, mais rien de grave, le village s'était remis de l'histoire et buvait un verre pour trinquer à la santé de tout le monde ; l'école reprenait dans un mois, les fournitures scolaires étaient à acheter d'urgence ; un groupe de touristes gravissaient le Mont-Blanc ; un concept révolutionnaire de machine à café ; les 35 heures ; le premier homme sandwich ; Jean-Paul Sartre ; la construction de la tour Eiffel; l'élevage de porcs ; enfin, documents annexes, soixante-dix-neuf bombes au Moyen-Orient. Mozzarella marmonnait toute seule: "Non mais sans blague, regardez-moi ça, ils sont tous maquillés comme des Louis XIV et infoutus de mettre les priorités dans l'ordre ! Monde de fous, monde de fous! Et délit de faciès pour la blonde avec son brushing!"
Voilà à quoi Mozzarella se trouvait réduite : ronchonner délibérément sur son canapé, en gobant des cacahuètes. Elle se dit soudain : "Quoi! J'aurais donc fait tout mon voyage pour CA?" Et elle éteignit la télévision.
"Il faut que je cherche un emploi, se dit-elle. Ca m'occupera et me forcera à me lever le matin." Aussitôt dit, elle se planta confortablement devant son ordinateur, et fit défiler les annonces d'emploi.