Les aventures absolument tranquilles de Mozzarella (quoiqu'un type a dit : "tout est relatif") entrecoupées d'interludes qui ne sont pas sans contenir une inutilité obscure au profit d'un éphémère et léger divertissement.

mardi 17 février 2009

In the mood for White Spirit

Après que l’assemblée de cow-boys ait encouragé Mozzarella à retrouver au plus vite Superhéro, elle avait rapidement quitté les lieux, suivie de près par White Spirit. Thomas Hawk leur avait donné des vivres pour tenir encore quelques jours et une grande carte du désert. Mozzarella se réjouissait de voir son sac à nouveau rempli de gâteaux et de chips, et s’était fait une raison au sujet de White Spirit – « Si ce type doit m’accompagner, autant que ça se passe bien, je n’ai pas envie d’un pugilat au milieu de deux cactus. » D’ailleurs, White Spirit n’avait pas l’air si méchant que ça. Il bougonnait simplement toutes les cinq minutes et réclamait avec insistance sa bouteille de Coca Light dès qu’une goutte de sueur dégoulinait dans son cou. Mis à part ce comportement bizarre, White Spirit était du genre sympa et racontait des blagues assez drôles. Et puis, il en connaissait un rayon. White Spirit n’avait pas toujours été cow-boy. Il travaillait dans la finance, en Europe, et avait tout plaqué pour venir dans ces lieux reculés, garder les vaches et régler régulièrement ses comptes avec une carabine, comme l’exige le fonctionnement des gens d’ici. Il était très caractériel auparavant – son père avait fait la guerre d’Indochine et l’avait élevé à coups de crosse et de manuels de droit fiscal – mais il avait appris à se modérer et se mesurer avec le temps. Il était abonné à Marianne et l’Express ; malheureusement les services de la poste avaient récemment abandonné toute idée de continuer à livrer colis et lettres dans le coin, parce que le patron du Coconut Bar, toujours saoul, les accueillait par des coups de feu depuis le paillasson du pub. C’était du reste le cosmonaute qui le raisonnait perpétuellement et qui finissait par le coucher tous les jours en milieu d’après-midi. White Spirit vivait dans une bicoque à quelques centaines de mètres du Coconut Bar, à la lisière de la palmeraie ; il n’avait ramené qu’une seule chose de sa vie d’avant, c’était sa platine de vinyles ; il écoutait en boucle Elvis Presley, Nancy Sinatra et aussi Britney Spears, à qui il vouait une profonde admiration. White Spirit avait lu tout Proust, compris Nietzsche et Kant très jeune, et joué cinquante-sept fois dans sa vie à l’Euromillions. Enfin, il était arrivé gagnant de la compétition de Trimini en remportant successivement les victoires en baby-foot, mini-golf et ping-pong.
Mozzarella était de plus en plus impressionnée par tout ce qu’elle découvrait chez son acolyte. Cela faisait des heures et des heures qu’ils marchaient sans qu’elle se soit aperçue que le temps s’était écoulé. Le soleil était en train de se coucher et White Spirit décréta qu’il était temps de faire du feu. Il dit : « Demain, nous devrons nous lever à l’aube, Mozza. Nous sommes tout proches de Superhéro. Il va nous en faire voir de toutes les couleurs, avec son caractère bidon, et il faudra lui remettre les idées en place pour sauver les gens sur notre planète. D’autant plus que j’ai un cousin qui, en ce moment même, se fait martyriser par son poisson rouge, le pauvre l’a ramené de terre de côte d’Azur sans savoir que la bestiole, d’un bon mètre maintenant, venait tout droit du Pacifique et grandirait jusqu’à qu’il lui pousse des crocs et des épines. Pauvre Gaston, c’est terrifiant d’en arriver là, tout ça pour un article débile sur la pollution ! »
Mozzarella n’en croyait pas ses oreilles. Interloquée, elle finit par balbutier : « Mais vous êtes le cousin de Gaston de la Narcolepsie ? C’est incroyable, c’est lui-même qui m’a appris l’existence de Don Superhéro ! C’est fantastique, comme le monde est petit, et les destinées grandes ! »
White Spirit alluma une cigarette. Il voulut prendre une pause de cow-bad-boy (qu’un vieil oncle Clint lui avait apprise pour jouer les blasés congénitaux) en s’adossant sur ce qu’il croyait être un mur (sans apparemment se souvenir qu’il n’y en avait pas, de murs, dans le désert) et réalisa, au moment même où il laissait s’alourdir son corps, qu’il était juste parvenu à se planter le verso dans un cactus.



samedi 14 février 2009

Un peu plus à l'Ouest

C’est en fin de journée, un peu plus à l’Ouest, alors que le soleil se couchait, que Mozzarella, épuisée et sans ravitaillement, aperçut un alignement de palmiers, tout au bout du désert. Alors qu’elle avait eu quelques doutes tout au long de la journée et qu’elle avait même réussi à s’emporter contre l’auteur inconnu du bout de papier – franchement, un peu plus à l’Ouest ! Tout le monde peut aller un peu plus à l’Ouest, mais comment distinguer le « un peu plus » du « un peu trop » ? Société de fous, même en plein désert ils trouvent encore le moyen de rendre les gens dingues avec leurs indications à la noix ! C’est pas comme si je réclamais un plan détaillé de Paris ! Pardon, pour aller à la station Carcasse-Cactus, il vaut mieux que je monte à Dune-Est ou Oasis-Plage? – elle voyait enfin les premiers signes de vie réapparaître, et, si elle tendait bien l’oreille, elle pouvait même percevoir un fond de musique.
Mozzarella courut presque jusqu’à la palmeraie – ce qui n’était pas pratique, car, comme tout le monde le sait, courir dans le sable est une performance technique, et son marathon ressemblait davantage à une poursuite avec une jambe cassée dans Jurassic Park qu’à une véritable scène de péplum – et lorsqu’elle arriva à la hauteur du premier palmier, elle s’écroula de fatigue sur le sol. La musique était maintenant très forte ; on distinguait à travers les feuillages l’enseigne rose et verte d’un grand Pub, le Coconut Bar. Mozzarella trouva que c’était très original pour un nom de pub dans le désert, et suite à cette hasardeuse réflexion, elle se mit énergiquement debout, épousseta ses vêtements, et s’avança promptement jusqu’au pub.
A l’entrée, un cosmonaute surveillait la porte. Dès qu’il vit Mozzarella, il dit : « Ah, vous devez être Mozza, suivez-moi, on vous attend. » Et sans que Mozzarella ait eu besoin de dire le moindre mot, il la prit par la main et l’emmena à l’intérieur.
Le pub était noir de monde. Mozzarella essaya de distinguer des visages, mais il faisait trop sombre. Le cosmonaute la conduisit jusqu’à une porte au bout d’un couloir, où était écrit : QG. Il frappa deux petits coups secs, puis, sans un mot, il s’en retourna surveiller l’entrée.
La porte s’ouvrit peu de temps après. Mozzarella découvrit une assemblée de cow-boys autour d’une immense table rectangulaire. La plupart étaient assis nonchalamment, les pieds sur la table, l’harmonica et la cigarette au bec. Mozzarella aperçut tout de suite le chapeau blanc ; il se trouvait sur la tête d’un cow-boy assis tout au bout. Un Indien surgit devant elle : « Venez prendre place dans l’assemblée, Mozza, nous allons vous expliquer le plan. » Mozzarella sentit tout à coup la moutarde lui monter au nez. Le plan ? Quel plan ? Celui des psychotiques de l’aventure, qui s’amusent à laisser des indices à trois heures du matin dans le désert, à côté d’un sac de couchage ? Celui des cosmonautes dépressifs, qui finissent videurs à l’entrée des pubs de palmeraie parce qu’ils ne percevaient pas leurs RTT sur Mars ? Celui des eunuques à l’harmonica, qui zonent dans le premier bar venu parce qu’ils se sont fait jeter par le pasteur de la congrégation de la paternité ? Non, vraiment, c’en était trop. Mozzarella se disait qu’elle n’avait pas pu faire toute la traversée du désert pour cela.
Elle regarda l’Indien qui lui tendait chaleureusement la main ; il dit simplement : « Ne vous inquiétez pas, vous êtes près du but. Nous allons tout vous expliquer. Mon nom est Thomas Hawk. » Mozzarella pensa que si c’était une blague, elle n’était pas drôle, mais elle ne dit rien et se contenta de s’asseoir sur le siège qu’on lui présentait. Il poursuivit : « Cette nuit, vous quitterez le QG pour retrouver Don Superhéro. C’est peut-être lui qui a des pouvoirs, mais vous avez été désignée pour lui mettre des coups de pieds aux fesses, qu’il se bouge un peu, ce fainéant. Vous n’êtes pas loin de le trouver. Pour que vous vous sentiez moins seule dans cette mission, White Spirit vous accompagnera. » Le sang de Mozzarella se glaça : Thomas Hawk venait de désigner le cow-boy au chapeau blanc.



vendredi 13 février 2009

A l'Ouest

Cela faisait plusieurs jours que Mozzarella marchait à travers le désert. Du reste, elle ne savait pas bien lequel. Elle s’était rendue à l’aéroport, avait demandé le premier avion pour les étendues de sable. La marchande de billets s’était contentée de lui dire : « Voilà, Mozzarella. Vous partez dans une heure. Pensez à faire enregistrer vos bagages, bon voyage. » Il y avait eu seize heures de vol et cinq escales. Pour ceux qui n’étaient pas contents, car leurs habitations ou leurs points de rendez-vous se trouvaient toujours entre deux escales, on les parachutait, à leur demande, au-dessus de leur maison ou au-dessus d’un champ. Mozzarella était impressionnée par la tranquillité de ces gens, qui semblaient être habitués à ce système de débarquement.
Après un atterrissage chaotique, Mozzarella fut lâchée dans le désert avec cinq autres touristes, dont un couple de Suisses qui désiraient faire des fouilles entre le point [X ; 14 ; br32 ; XII] et le point [Y ; 56 ; nh67 ; VII], un policier de la brigade des stupéfiants en vacances, son indic, et une belle femme d’une quarantaine d’années, Mlle Huguetta, qui s’était très vite révélée être complètement dégénérée. Les six personnes s’étaient rapidement divisées pour emprunter quatre directions différentes ; ainsi les Suisses étaient-ils partis au Nord, le policier et son indic à l’Est, Mlle Huguetta au Sud, et Mozzarella à l’Ouest, puisque c’était finalement la seule direction que personne n’avait choisie. Mlle Huguetta avait d’ailleurs fait à ce sujet, une étrange remarque : « Ah, alors c’est vous qui partez à l’Ouest… Ouh la la, vous êtes bien courageuse, Mademoiselle… » Mozzarella aurait bien aimé comprendre ce que Mlle Huguetta sous-entendait, mais cette dernière s’était alors mise à chanter sous le soleil de plomb en exécutant la danse de la pluie. L’indic, qui était médecin dans des temps anciens, avait enregistré des notes au sujet de cette transe : « Dimanche, désert, 16h37, la foldingue réitère après une accalmie pendant le vol, agitation frénétique des membres inférieurs et supérieurs, troubles de la paroles, incantations mystiques, dégénérescence apparemment congénitale, son âge ne dépassant pas les 43 ans. » Puis il avait rangé son petit magnétophone et s’était mis en route, suivant de près le policier. Les Suisses, quant à eux, avaient quitté le petit groupe sur-le-champ, prétextant qu’ils devaient être arrivés avant la tombée de la nuit au premier point [Z ; 98 ; hd45 ; XI], et que la route étaient longue (Mozzarella les soupçonnait en vérité d’être torturés par la faim et de ne pas vouloir faire partager à leurs petits camarades de vol les barres Kinder Bueno qu’elle avait vu dépasser de leur sac en grande quantité).
Tout le monde s’était éloigné ; même Mlle Huguetta avait réussi à faire ses premiers pas vers le Sud en continuant sa danse. Il ne restait plus que des traces de pas sur le sable. Mozzarella avait soupiré, englouti un Bounty et s’était mise en route.
Et voilà, à présent, des jours et des jours que Mozzarella se traînait entre les arbustes morts et les dunes, et toujours rien, pas le moindre indice, pas la moindre trace de Don Superhéro, qui commençait à lui casser sérieusement les pieds, celui-là. Elle continuait, mais avec lassitude, toujours à l’Ouest, sans dévier, et attendait un signe. Il ne lui restait plus qu’un seul Bounty. A la tombée de la nuit, Mozzarella s’était emmitouflée dans son duvet et s’était endormie pleine d'inquiétude.
C’est à son réveil, tandis qu’un coq venu de nulle part s’était mis à lui « Cocorico » plein les oreilles, qu’elle découvrit un petit papier à côté de sa tête où était simplement noté : « Dans douze heures, un peu plus à l’Ouest, QG du Pub, méfiez-vous du chapeau blanc. » Et c’est ainsi que Mozzarella pleine d’espoir, reprit hâtivement sa route, un peu plus à l’Ouest.



jeudi 12 février 2009

Et pendant ce temps-là, au ranch...

Il fallait bien que la nature prenne le pas sur le reste. En ce jeudi 12 février 2009, le climat se rapprochait étrangement de la période des glaces. Mozzarella aurait aimé que tout cela soit une fiction, que la congélation instantanée n’existe que dans les dessins animés, où un certain mammifère imbécile court désespérément après une noisette qu’il ne pourra jamais manger. Malheureusement, le thermomètre indiquait un chiffre qui se situait dans les « moins quelque chose ».
Et pendant ce temps-là, au ranch, Don Superhéro jouait du banjo en fumant un cigarillo. Le soleil cognait, le train sifflait, et Pepe faisait un somme. Don Superhéro avait été doté de superpouvoirs par un pauvre cow-boy solitaire, désireux, à sa retraite, d’avoir quelqu’un de confiance pour prendre la suite de ses exploits. Il n’avait cependant pas pu les faire fonctionner, ayant perdu le manuel d’utilisation dès son acquisition. Et comme les journées étaient très fatigantes, à cause de la chaleur, il avait vite fini par abandonner toute idée de pratique.
Mozzarella avait entendu parler de Don Superhéro par un explorateur lors d’un récent voyage dans un pays très très lointain (peut-être en terre de côte d’Azur ou quelque chose de ce genre, le savant faisait des fouilles près des baraques à frites et préparait un article sur la pollution). Un certain Gaston de la Narcolepsie. Entre deux sommes, il avait confié à Mozzarella des informations précieuses au sujet de Don Superhéro, qui selon lui, était sur la mauvaise pente et avait besoin d’une bonne prise en main pour assurer ses superpouvoirs. Gaston avait bien essayé de secouer Don Superhéro, lorsqu’il l’avait rencontré. Malheureusement, il avait piqué du nez en pleine leçon moralisatrice, et à son réveil, Don Superhéro avait levé le camp pour se prendre des vacances à cheval. Gaston de la Narcolepsie avait vraiment eu l’air désespéré : « Il faut quelqu’un de plus énergique que moi, Mozza. Je n’arrive déjà pas à écrire mon article sur le scandale des baraques à frites, le sommeil venant de façon trop régulière, alors comment voulez-vous que je puisse aider un type qui a besoin d’un lavage de cerveau intensif pendant un après-midi entier ? Je peux juste vous donner ses coordonnées, si vous voulez ; vous irez lui sonner les cloches mieux que moi. Et puis, il pourra peut-être faire quelque chose contre ces enfoirés de taxidermistes. Vous empailleriez des goélands, vous ? Baraques à frites et taxidermistes, même combat ! » Mozzarella s’était dit qu’elle rencontrait décidément des gens très curieux. Elle avait sorti de sa poche un crayon et un carnet pour noter l’adresse de Don Superhéro, mais Gaston de la Narcolepsie s’était déjà mis à ronfler dans son transat.
Mozzarella buvait son café froid dans la cuisine, et repensait à Gaston. « Chic type, quand même. Il a raison, il faut que je retrouve Don Superhéro » Et c’est ainsi qu’elle décida de partir à l’aventure.



mardi 10 février 2009

Grand beau

Mozzarella regardait béatement par la fenêtre. Il faisait beau, pour une fois. La petite madame de la météo, qu’elle aurait insultée la veille pour incitation à la dépression nerveuse (cela faisait une semaine qu’elle annonçait toujours de la pluie), fut chassée de son esprit par les rayons de soleil qui entraient par la fenêtre. Il faisait doux, il n’y avait pas de vent ; c’était décidément bien un temps à aller se promener. D’ailleurs, ça tombait bien : une petite manifestation nationale contre une vague réforme des universités était annoncée pour l’après-midi. Au programme : condamnation d’un président dingue pour délit de sale gueule et de mauvaise foi, apprentissage de l’art et la manière de taper du poing sur la table, première expérience d’agoraphobe en terrain inquiétant – quoi de plus intéressant que de vivre son ultime traumatisme au milieu d’une manifestation de cinglés hargneux et hystériques ? Non pas que ce soit la cause défendue qui heurte Mozzarella, bien au contraire, mais c’est cet engouement hostile pour le cri sauvage et la violence du poing levé ; après tout, on avait bien fini par connaître l’issue de 1789 et mai 68 – tous des excités.
Mozzarella fut rattrapée par la morale : même si l’idée de la manifestation l’angoissait, en ce qu’elle contenait d’inconstant et d’imprévisible, elle se dit qu’elle agirait pour la bonne cause et qu’elle pourrait avoir l’occasion d’y déverser ses rages contenues depuis plusieurs jours, en considérant le lieu de l’action comme un parfait défouloir. Elle pourrait y cracher des gros mots, des injures, des insanités, on n’y verrait que du feu. Au pire, on penserait que c’est pour insulter le Président de la République, et elle finirait portée par les bras vigoureux des plus militants et des plus acides, adulée par une foule en délire : « Elle a osé ! Elle a osé ! Elle l’a dit ! » Puis, des journalistes se l’arracheraient au JT de 20 heures, où elle devrait expliquer ce qui l’avait conduite à se débarrasser de toute inquiétude, à se libérer de tout interdit concernant le petit Nicolas. Après tout, on était encore en démocratie, elle pouvait bien se mettre un entonnoir sur la tête et raconter avec la plus grande gravité comment elle avait fait le choix de se lancer à corps et à cris dans ce combat révolutionnaire par l’insulte. A l’image des types qui se rendaient plein de bière et de rage à un match de foot, Mozzarella allait finir par prôner le concept du rassemblement de foules pour lâcher ses fureurs. Elle eut soudain un cas de conscience : manif ou exutoire?


lundi 9 février 2009

Amorce du second semestre

Rentrée de week-end, Mozzarella se retrouva face à la blancheur éclatante de sa page Word, et se dit qu’il fallait qu’elle change la luminosité de son ordinateur pour échapper à cette terrible agressivité, celle qui allait jusqu’au fin fond de son esprit, et qui lui rappelait avec panache : « Alors Mozza, alors Mozza, écris quelque chose ! ». Et puis elle se dit que ce n’était pas la solution. Mozzarella s’inventait des mondes avec les contes de la rue Broca, ceux qui avaient bercé son enfance et qui lui avaient fait croire qu’on pouvait marier des chaussures, chose qu’elle avait un jour joyeusement répétée à sa maîtresse d’école, pleine d’entrain et de naïveté : « Maîtresse, Maîtresse, j’ai lu dans un livre que même les chaussures pouvaient se marier ! ». Et la maîtresse, l’imbécile, soucieuse d’entretenir un imaginaire bécasson chez les gosses, lui avait répondu : « Mais bien sûr ma petite fille, tout le monde peut se marier ! ». C’est ainsi que Mozzarella s’était bercée d’illusions sur l’idée de l’union, et s’était engagée dans des combats idéologiques dont elle ne saisissait pas vraiment le sens, finalement. Combats idéologiques qui, d’ailleurs, étaient très vite allés bien au-delà de tout ce qui pouvait concerner le mariage : combat pour la réinsertion des triples tranches de lard dans le menu Royal Bacon, combat pour la liberté d’expression face aux types mal embouchés comme le BBB (big bad boss), combat pour le maintien des concours de construction en épingles à nourrice dans le Limousin. Les chevaliers de l’an mille au lac de Paladru se sentaient lésés : « Mais enfin, le combat le plus nul, c’est pour nous normalement ! Nous devons rester dans la mémoire collective ! Nous sommes l’objet obsessionnel d’un thésard inintéressant, c’est nous, la crème chantilly des combat inutiles ! » Et Mozzarella, en les entendant râler, se réjouissait de ses coups fortiches.
Le docteur Glückenstein, quant à lui, avait émergé. Maintenant qu’il s’était fait une réputation, il avait décrété qu’il prendrait en charge la pauvre Mozza. Il en avait parlé du reste à son collègue le docteur Hämbourger, spécialisé dans les délires chroniques de persécution, et qui avait pris un malin plaisir à le mettre en garde : « Be careful, little genious. Mozzarella peut être une illusion de votre esprit pour mieux foncer dans le néant. Vous voyez ce que je veux dire ? » A priori, non, pas du tout. Le docteur Glückenstein voyait juste un cas à traiter parmi ses nouveaux patients, qui alourdirait un peu plus son tiroir-caisse. Mais le docteur Hämbourger ne travaillait pas pour l’argent. A l’instar du chercheur confirmé, il dégotait impudemment des cas qui accroîtraient sa renommée, et non pas son compte en banque. Le docteur Glückenstein avait voulu lui dire que l’un n’allait pas sans l’autre, puis s’était tu, prenant le parti de la fermer pour mieux argumenter dans des temps futurs.
Ainsi démarre le deuxième semestre de la licence universitaire de Mozzarella : dans le chaos.



vendredi 6 février 2009

Métaphysique de la reprise

Bon, maintenant que les partiels étaient passés, Mozzarella n’avait plus d’excuses. Plus d’excuses pour dire qu’elle n’était pas informée du fait qu’il fallait se mettre au travail tôt et de façon régulière, plus d’excuses pour dire qu’elle était prise par le temps et qu’elle ne pouvait pas mettre par écrit ses petites mésaventures, plus d’excuses pour dire qu’elle n’avait pas eu le temps d’étendre sa lessive. PLUS RIEN ! Elle avait tout à coup fait face au néant de son organisation, et se devait de trouver courage et motivation pour assurer un tant soit peu de stabilité à son existence. Elle avait souffert d’une intoxication aux magazines de filles, les articles qui y étaient publiés avaient achevé de lui plomber le moral (et le cerveau). Les histoires de Marie-José, 45 ans, convertie à la mode par une fantastique expérience de « relooking » impudemment offerte par ses copines du boulot, Bettina, 24 ans, étudiante en art qui se la joue rebelle de la robe trouée, Kristina, 36 ans, chargée de virer ses inférieurs hiérarchiques dans les ressources humaines et passionnée par les vestes en cuir, et Danielle, 39 ans, fan de Gucci et de Ralph Lauren, qui choisit ses amants pour leur look, toutes ces femmes névrosées – et oserons-nous le dire, atteintes ? – valsaient dans la tête de Mozzarella comme des sangliers rôtis dans celle d’Obélix. Mozzarella fit un constat affligeant en réalisant qu’elle se faisait aspirer et massicoter par les pages moisies de la société libérale ; il lui fallait maintenant remettre le pied à l’étrier. Des résolutions à la Bridget Jones s’imposaient. Répartir les choses en deux camps : la poubelle d’un côté, le renouvellement de l’autre. Les Biba, Glamour et autres gerbitudes de ce genre s’empilèrent donc tristement aux ordures, tandis que les derniers bouquins achetés furent époussetés avec vigueur et mis en valeur au premier rang d’une étagère, comme les fayots des bancs de l’école. La chambre de Mozzarella subit aussi de nettes transformations. L’aspirateur se chargea de faire disparaître les dernières traces de nonchalance qui traînaient sur le parquet et un désodorisant chimique élimina pour une longue durée (c’est du moins ce que prétendait son emballage réservé aux illuminés des slogans) les ultimes parfums d’inertie et de flemmardise. Une nouvelle page allait enfin pouvoir être tournée. Il était temps. Des aspirations héroïques de Superman se développaient progressivement. Des aspirations pires qu’une drogue, qui poussaient à la surenchère. D’abord, travailler bien comme il faut. Faire ses petits devoirs en rentrant des cours. Obtenir sa licence avec succès même si l’université s’en fout maintenant qu’elle fait grève. Continuer ses études. Chercher un travail. Sauver le monde. Tuer tous les méchants. Ne jamais livrer le secret de ses superpouvoirs. Ne pas accepter Dark Vador en ami sur Facebook.
Lorsque les perspectives d’avenir finissent par prendre forme, Mozzarella se dit que ça peut être sympa de tenter le coup.



jeudi 5 février 2009

Le retour de Mozzarella

Non bien sûr, ce n’est pas que les péripéties de Mozzarella s’étaient évanouies en plein vol pour s’écraser lamentablement sur le bitume. Ce n’est pas non plus que Mozzarella n’était pas capable, ou désireuse, de rendre compte au quotidien de ces mêmes péripéties. C’est simplement qu’elle s’est retrouvée coincée dans un monde étrange, où elle passait librement son boss à la moulinette avec du persil, où elle faisait de plein droit une réclamation contre les emplois du temps trop chargés, où elle attaquait la sncf (Salopards de Nigauds des Couilles Formidables) pour abus de prix sur carte 12-25, où elle dénonçait la croissance exponentielle et intolérable des casse-pieds, et où elle soulevait la VRAIE question concernant la disparition de Lady Di : « Pourquoi n’avait-elle pas un chauffeur un peu moins dingue, et une belle-mère un peu plus fiable ? ». Pas de doute : c’était bien en République de Disneyland qu’elle avait atterri. Intéressante assemblée de fous, d’ailleurs, là-bas. Un monde tout à fait binaire. Dans son inestimable bonté, Mickey l’avait avertie à l’entrée, quand elle avait fait l’heureuse acquisition d’un ticket gratuit pour la semaine (à moins qu’on ne se fie à la courbe de l’espace-temps modifiable-échangeable-remboursable sous quinze jours n’oubliez pas le ticket de caisse mereuhci-aurevoireuh-chère-cliente-cher-client-fidélité), en chuchotant derrière son nœud papillon : « Fi attention, ici ci tout blanc ou tout noir. Si ti contente, ti restes, si ti pas contente, ti t’en vas, ci tout, on s’en fout, fi gaffe au capitaine Crochet, lui ci un raté, complexe d’infirioté, traumatisme di l’enfance, difficulti di communication avec l’entourage et perte de mimoire à court terme rapport à « qui ci qui michant li crocodile ou Pitir Pan ? »). Du reste, Mozzarella se souvient avoir interrogé Mickey le Naïf sur son incompréhensible accent, suite à quoi il avait confessé nourrir des désirs d’exotisme (« marre di faire le guignol pour ine bande di mondialisés ») ; mais devant le regard de Mozzarella, il avait aussi soupiré et dit : « C’est bon, je laisse tomber, je reparle normalement, de toute façon c’était pénible ces « i », je finissais pas avoir des crampes aux maxillaires. Et puis avec les conventions collectives, je peux pas lâcher mon job à l'accueil avant six mois. »
Cependant, même si Disneyland semble a priori plus sympathique que méprisable, une question reste sans réponse dans l’esprit de Mozzarella : ce monde, où Blanche-Neige et Cendrillon se retrouvent pour de grandes fêtes VIP, ne serait-il pas un paradis fiscal ? Lui aurait-on donc menti ? Mais que fait la police ?
Vivement le retour parmi les VRAIS fous de la VRAIE démocratie française (rha ben bonne la choucroute ce matin Germaine !).