Les aventures absolument tranquilles de Mozzarella (quoiqu'un type a dit : "tout est relatif") entrecoupées d'interludes qui ne sont pas sans contenir une inutilité obscure au profit d'un éphémère et léger divertissement.

lundi 30 mars 2009

Soirav à So Easy

Lorsque Don Superhéro eut fini de se moucher sur l’épaule de Mozzarella, elle le prit fermement par le bras et lui dit : « Bon, maintenant que vous êtes enfin au top de votre prise de conscience, vous allez pouvoir vous atteler à sauver votre petit monde. Alors ciao les vacances, vous pliez bagage et on rentre à la maison. De toute façon, Gaston de la Narcolepsie a hâte de retourner en terre de côte d’Azur pour de nouvelles recherches, et de mon côté, j’avoue que l’idée de retrouver mon chez-moi n’est pas déplaisante. En plus, le facteur a dû déposer une tonne de magazines de fille dans ma boîte, et il ne faut pas que je rate la collection printemps-été 2009. J’avais pris de bonnes résolutions, en jetant mes Biba, mais là, j’ai bien envie de lire les derniers potins sur Britney Spears. Il faut en revanche demander à White Spirit ce qu’il compte faire. J’ai l’impression que votre hutte rose lui plaît… »
Don Superhéro se redressa en reniflant bruyamment, et vit White Spirit qui avait déjà sorti un transat devant la porte. Don Superhéro dit en pleurnichant : « Si vous voulez… snif… vous pouvez rester… snif… c’est très sympa ici… snif… je vous la laisse volontiers, ma hutte… snif… » White Spirit s’étendit sur le transat et mit ses doigts de pieds en éventail. Il dit simplement : « Moi, j’adore. Je crois que je vais rester ici quelques jours. Les voilà, mes vacances. J’ai raté les promos Lastminute, alors autant profiter du cadre. » Mozzarella et Gaston de la Narcolepsie se regardèrent en acquiesçant. Don Superhéro frappa dans ses mains pour se donner un peu d’enthousiasme, et lança : « Bon, hé bien moi, il ne me reste plus qu’à préparer mes affaires. Je vais chercher mon baluchon. » Mozzarella ajouta : « N’oubliez pas votre manuel pour apprendre à faire marcher vos superpouvoirs. Ce serait regrettable que vous rentriez chez vous sans les recettes de cuisine. »
Quand enfin tout fut réglé, et que White Spirit eût pris ses repères, tout le monde décida d’aller boire un verre au So Easy Pub, situé à l’entrée du village. Il faisait nuit, l’ambiance était incroyable. Des lumières multicolores scintillaient sur les huttes et les palmiers. Les cactus fluorescents jetaient des rayons un peu partout, et la foule en délire chantonnait des airs italiens. Mozzarella trouva une petite table sympathique en terrasse, cachée par des feuillages. Ils commandèrent rapidement d’énormes cocktails roses et bleus. Un mexicain habillé en maître nageur vint leur jouer du pipeau, et une serveuse sexy déguisée avec des bouées de sauvetage leur apporta des verres géants et des fraises Tagada.
La soirée battait son plein. Don Superhéro invita Mozzarella à danser un rock argentin et White Spirit et Gaston de la Narcolepsie offrirent leur bras à de charmantes So Easy Girls pour une valse endiablée. C’est alors que Mozzarella, qui s’était assise quelques secondes pour se reposer, crut reconnaître des voix familières à sa gauche. Elle tourna la tête, et découvrit avec surprise ses vieux congénères de voyage attablés, qui semblaient eux aussi profiter pleinement de la soirée. Tous y étaient : Mlle Huguetta, les Suisses, le policier, l’indic, festoyant gaiement. Mozzarella se leva précipitamment pour aller les saluer. « Ca alors, vous ici ! » cria-t-elle avec un large sourire aux lèvres. « Des copains de vol ! Mais comment donc pouvons-nous nous retrouver tous ensemble à So Easy, alors que chacun a pris une direction différente ? » Mlle Huguetta, qui n’avait pas tout de suite reconnut Mozzarella (elle avait, à son regard, bu une dose conséquente d’alcool), s’exclama : « Mais c’est vous, Mlle Mozza ! Alors comme ça, vous avez réussi à l’Ouest, c’est fantastique ! Vous m’épatez, dites donc ! » Mozzarella pensa : « Encore le coup de l’Ouest ! Mais qu’est-ce qu’elle a, celle-là, à la fin, avec l’Ouest ? » L’indic fit du coude à Mlle Huguetta pour la faire taire, et prit la parole : « Ce que Mlle Huguetta essaie de vous dire depuis le début, c’est que vous vous êtes fait bananer sur l’itinéraire. En vérité, si vous étiez partie dans la même direction que l’un d’entre nous, vous seriez arrivée en terre de So Easy il y a bien longtemps. C’est un sacré détour, par l’Ouest. Enfin, vous y êtes. » Mozzarella devint toute rouge. Elle balbutia deux ou trois mots, interloquée, et pour finir, elle se mit à pleurer. « Ca y est ! Moi aussi, je craque ! Faut toujours que ce soit pour moi, la croûte du fromage ! Je veux rentrer à la maisoooooon… » Don Superhéro, triste de voir la pauvre Mozzarella dans un si pathétique état, la prit gentiment dans ses bras. « Keep cool, Mozza, tu vas rentrer chez toi et tout ira bien. Profite de la soirée détente, c’est sympa de retrouver des copains. »



mardi 24 mars 2009

Rencontre du troisième type

Un type avec une mine de vacancier apparut dans l’encadrement de la porte, les cheveux en bataille et le caleçon de travers. Il avait du reste, plutôt une belle gueule – enfin, c’est ce que Mozzarella pensait en le regardant ; il lui disait presque quelque chose, en fait. White Spirit, un peu décontenancé par la manœuvre d’ouverture de porte, s’était reculé de quelques pas, tandis que Gaston de la Narcolepsie s’était rapproché de la hutte. Ce dernier tendit une main franche et chaleureuse au type en caleçon, et dit avec enthousiasme : « Salut vieille branche ! Tu me reconnais ? Gaston, on s’est croisé il y a quelque temps… Heureux de te retrouver ! » Dans un premier temps, l’homme se gratta la tête et la barbe. Il plissa les yeux d’un air soupçonneux, remit son caleçon correctement ; tout à coup, son visage s’illumina, puis s’assombrit. « Gaston ! Gaston… Oui oui, bien sûr, le mec qui voulait me booster à propos de mes superpouvoirs… J’étais parti à cheval, non ? » Don Superhéro se gratta les fesses en gloussant. « Ah, elle était bien bonne, celle-ci… j’aurais aimé voir votre tête quand vous vous êtes aperçu de ma disparition ! Et dites donc, vous êtes revenu avec votre bande de copains dingos pour me refaire le coup de la responsabilité ? Ecoutez, tous. Ca m’est bien égal qu’un tordu narcissique et solitaire m’ait refilé ses petits pouvoirs. Je n’ai jamais su m’en servir, et ne le souhaite pas. A vrai dire, si je pouvais me fondre dans la masse sans que personne ne me reconnaisse, ça m’irait très bien. Alors, au diable votre acharnement ! Vous ne me laisserez donc pas en paix ? Ne changera-ce donc jamais* ? »
Pendant le monologue du type en caleçon, en qui Mozzarella n’arrivait pas encore à voir Don Superhéro, (qu’elle avait imaginé plein de classe et d’élégance, un peu perdu mais attendrissant), White Spirit s’était attelé à ramasser quelques feuilles de palmiers qui jonchaient le sol. Gaston écoutait l’hurluberlu en s’essuyant le front. Mozzarella, quant à elle, s’en était rapprochée, et le fixait avec des yeux moralisateurs. Du reste, Don Superhéro ne s’en apercevait pas. Il fallut que s’écoule un blanc de plusieurs secondes à la fin de son discours pour qu’il daigne la regarder. Mozzarella avait du mal à se contenir ; sortir de ses gonds n’était pas une habitude chez elle, mais à cet instant T, cela pouvait aisément se produire. Et c’est d’ailleurs ce qu’il se passa : « Hé, le Mal-Embouché. Vous êtes un imposteur ridicule. Quand on a la chance de se voir confier des pouvoirs dignes de ce nom, on en fait profiter les autres correctement. Moi qui ai fait un long trajet pour vous rencontrer, je m’attendais tout de même à me retrouver face à un homme, un vrai, certes un peu dans la lune, mais enfin, qui porterait des principes humains et altruistes à bout de bras ! Et au lieu de ça, je trouve une espèce de crotte de bouc, qui lance des insanités à qui veut bien les applaudir, et qui ne se rend pas compte de la chance qu’il a ! Zut à la fin, on dirait un Français mécontent! »
Don Superhéro ne bougeait pas. Les yeux hagards, il regardait Mozzarella s’agiter face à lui, sans rien comprendre. Il rougit un peu, se gratta encore les fesses, toussota, se moucha. Puis, sans que personne ne puisse envisager ce qui aller se produire, ses yeux s’embuèrent, et il éclata en sanglots. De grosses larmes coulèrent le long de ses joues bronzées tandis qu’on entendait le son de ses pleurs résonner comme ceux d’un enfant. « Je suis désolé, mais je ne m’attendais pas à çaaaaaa…. C’est la première fois que je sens que quelqu’un a autant foi en mooooooiiii… Ma pauvre mère m’avait toujours traité de raté, et me voilà projeté au-devant de grandes missions… C’est trop, c’est trop, mais c’est beaaaaauuuu… » Et tandis qu’il sanglotait encore, il s’appuyait contre l’épaule de Mozzarella et se mouchait dedans.

* NDLR : Notons que Don Superhéro est un fan inconditionnel de Pierre Desproges



BABY DON'T CRY


jeudi 19 mars 2009

So Easy

Gaston de la Narcolepsie prit ses co-équipiers par les épaules. « Regardez, mes enfants, n’est-ce pas fantastique ? Nous sommes en terre de So Easy, vous y êtes arrivés ! Quelle force intérieure, quel courage, quelle témérité ! Je suis admiratif, vraiment… » Et chose incroyable, tandis qu’il prononçait ces mots tendres, les larmes lui montèrent aux yeux. White Spirit le dévisagea avec un air plein d’affection, et sortit un mouchoir. Enfin, il lui tomba dessus en pleurant. « C’est beau » se dit Mozzarella, toute seule dans son coin. Pour se donner de la contenance, elle se gratta la joue et les pieds.
Le moment d’émotion étant passé, Gaston de la Narcolepsie dit : « Il ne faut pas que nous tardions. Nous avons une bonne partie de l’après-midi devant nous, certes, mais il faut en faire bon usage. Don Superhéro doit encore être dans sa sieste. Nous devons arriver avant qu’il ne se réveille et ne sorte de chez lui. » White Spirit inspira profondément, gonfla le torse et ouvrit la marche. Mozzarella lui emboîta le pas, déterminée, et Gaston suivit. « N’oubliez pas, toujours à l’Ouest » dit-il plein de paternalisme.
En chemin, Mozzarella posa beaucoup de questions : « Mais Gaston, comment allons-nous faire en arrivant ? Que va-t-il se passer ? Et si Don Superhéro s’énerve ? Et s’il ne veut pas ? Et si nous avions fait tout cela pour rien ? Et pourquoi la terre tourne ? Et pourquoi il n’y a plus de dinosaures ? Et pourquoi PPDA s’est barré de TF1 ? » Gaston, plein d’affection et attendri, répondait le plus clairement possible à toutes les interrogations de Mozzarella. Il avait lu Dolto, lui.
White Spirit était de nouveau muet, mais paraissait calme. Il exécutait ses pas de manière régulière, rigoureuse, mesurée, ne se laissait jamais déstabiliser par les caprices du sable, et récitait dans sa tête des poèmes baudelairiens.
Ils marchèrent ainsi pendant une ou deux heures. Le soleil cognait fort, mais rien ne les arrêtait. S’il ne leur restait plus d’eau, la perspective de la rencontre avec Don Superhéro les rassurait. Il devait bien avoir une ou deux canettes de Coca Light à leur offrir. Enfin, ils aperçurent une belle oasis. Des palmiers verdoyants bordés de cactus aux couleurs fluorescentes se dessinaient dans la lumière de l’après-midi. On distinguait plein de petites huttes et de cabanons charmants, et des chansons de Dalida fusaient de toutes parts.
Ils arrivèrent. Le mini-village grouillait de monde. Des jeunes, des vieux, des grands, des petits, des blonds, des bruns, des noirs, des blancs, tous se mélangeaient, en grande conversation les uns avec les autres. Gaston de la Narcolepsie attrapa au vol un chinois rockeur, qui exécutait quelques pas de danse, des écouteurs sur la tête. « S’il-vous-plaît, par hasard, connaîtriez-vous la casa de Don Superhéro ? Nous venons d’arriver et sommes un peu perdus… » Le Chinois sourit largement, et répondit avec un fort accent : « Si si, bien sûr que je la connais. C’est la casa numéro 17. Vous n’aurez pas de mal à la trouver, c’est un peu plus loin sur ce chemin, après le totem de John Lenon. Mais je pense qu’il doit dormir à l’heure qu’il est. Vous savez, ici, on est très peace. C’est So Easy, quoi… » Et il partit dans un grand fou rire.
Mozzarella se dirigea immédiatement vers le chemin indiqué, tandis que White Spirit et Gaston de la Narcolepsie observaient le Chinois comme un extra-terrestre. Elle regarda les numérotations des huttes et des cabanons. Mais, chose étrange, aucune n’était dans l’ordre. « C’est fou qu’ils n’aient pas adopté le coup des pairs et des impairs ! Ca aurait été tellement plus pratique ! Toujours obligés de faire dans l’originalité, ceux-là, c’est gonflant. » Enfin, après moult regards de tous les côtés, elle découvrit une petite hutte rose bonbon, un peu en retrait, sur la droite, qui portait le numéro 17. Une pancarte avait été négligemment accrochée à la porte : I’m sleeping, let me dream, and your life will be cool. « Belle entrée en matière ! » songea Mozzarella. Gaston de la Narcolepsie et White Spirit l’avaient rattrapée. Ils lurent le message. « Je frappe quand même ? » demanda Mozzarella. White Spirit abaissa son chapeau, cachant ses yeux. « Non, je crois que ce n’est pas une bonne idée. Il faut le laisser tranquille, le pauvre. Le sommeil est important et réparateur, c’est la moindre chose que nous puissions respecter… » Mozzarella soupira, lasse. Gaston regardait ses pieds. C’est alors que White Spirit bondit sur la porte, déchaîné : « Bien sûr qu’on frappe, bande d’imbéciles ! Vous croyez qu’on va se regarder dans le blanc des yeux jusqu’à ce que cet animal ouvre un œil ? Pas croyable, des mauviettes pareilles ! » Et il tambourina de toutes ses forces, jusqu’à ce que se fasse entendre un « C’est bon, c’est bon, j’arrive, qui est là, nom d’un boudin ? », et que la porte s’entrouvre.



mardi 17 mars 2009

Et vogue la marelle

Gaston de la Narcolepsie était en phase d’hallucination. « Une marelle ? Mais que voulez-vous qu’on fasse avec une marelle ? Vous avez vraiment de drôles d’idées, vous ! » Fixed Satellite les regardait tous avec ses yeux translucides, qui pétillaient presque, à présent. « Ecoutez, voilà ce que nous allons faire. Tracez une marelle dans le sable. Si le dénommé White Spirit parvient à faire toute la marelle – j’entends un aller complet jusqu’à la case ciel, puis un retour complet jusqu’à la case terre – sans une faute, vous pouvez passer tout de suite. Sinon, on trouvera un autre jeu. » White Spirit fusilla Fixed Satellite du regard. A cet instant précis, il aurait aimé faire partie d’un réseau de trafic de bazookas. Et puis il repensa à son père et à l’Indochine, et se dit que les Bounty étaient décidément plus sympathiques. Finalement, quelque part, il se sentait investi d’une lourde responsabilité, que son cousin Gaston ne pouvait que lui envier. C’était une sorte de remake d’Indiana Jones, cette marelle. Sauf qu’il n’y avait pas de pièges, et pas de manifestations surnaturelles autour de ça. C’était juste une marelle pour une marelle, histoire de tuer le temps avec un no-life. Tout de suite, cela perdait un peu de son charme aventurier. Mais dans le fond, pourquoi pas ?
White Spirit traça minutieusement une jolie marelle dans le sable. Puis il roula son foulard en boule, et commença à jouer. Gaston et Mozzarella s’étaient mis en retrait, afin d’assister à la scène sans perturber le joueur. Quant à Fixed Satellite, il était toujours sur ses cagettes, mais on pouvait remarquer que son buste était légèrement penché en avant, et qu’il observait le déroulement des opérations avec l’acuité d’un arbitre. En fait, il jubilait. C’était tellement agréable d’avoir trois personnes tributaires de son bon vouloir. Enfin une petite satisfaction dans ce job pourri.
White Spirit avançait progressivement, avec une méthode prudente, calculant le moindre geste, se concentrant pour le moindre coup. A tout moment, il pouvait échouer et se retrouver à jouer à la bataille navale ou au strip-poker. Cette idée le motivait d’autant plus pour réussir du premier coup. Il fallait être malin ; l’épreuve n’était pas si évidente. Le sable se mouvait assez facilement, et y sauter à cloche-pied n’était pas une partie de plaisir. Sans compter le fait que le foulard pouvait à tout moment atterrir sur une autre case, et ça, ce serait terrible.
Les minutes s’écoulaient dans une sorte d’insoutenable suspense. Gaston de la Narcolepsie s’abandonna à quelques vers en chuchotant : « Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices ! Suspendez votre cours… » Mozzarella lui écrasa le pied pour le faire taire. « C’est pas le moment, à la fin ! » White Spirit était arrivé au bout de la marelle. Il fallait faire le retour, à présent. De grosses gouttes de sueur coulaient le long de son front, mais il ne lâchait pas prise, il avançait, courageusement, il sentait que le cours des heures suivantes reposait lourdement sur ses épaules, et qu’il se devait de réussir. Fixed Satellite ne cillait plus ; il étudiait la partie dans une sorte de délire hypnotique. La fin du jeu approchait lentement, comme une chose inéluctable. Le foulard allait se poser avec précision sur la case 4, puis 3, puis 2… White Spirit sautait dans des efforts de plus en plus pénibles. Il ne restait qu’une seule case. Un dernier élan de concentration, et il gagnait. Gaston de la Narcolepsie prit la main de Mozzarella et la serra très fort en priant : « Faites que cet imbécile ne perde pas maintenant, faites qu’il ait un semblant d’intelligence jusqu’au bout… » Mozzarella lui écrasa le pied une seconde fois. Mais White Spirit venait d’exécuter avec succès le dernier saut. Fier et épuisé, il se jeta à corps perdu dans le sable en hurlant sa victoire. Mozzarella applaudit énergiquement. Gaston de la Narcolespie n’en revenait pas. Fixed Satellite faisait la tête.
Au bout de quelques instants cependant, ce dernier se redressa majestueusement dans des poses Jules Césaresques, et se racla encore la gorge. Il dit : « C’est bon, ça va, vous avez gagné. Allez-y, passez, de toute façon je vois bien que vous vous ennuyez avec moi. Enfin, c’était tout de même sympa, ce petit moment en collectivité. » Gaston de la Narcolepsie le remercia avec beaucoup de respect ; Mozzarella et White Spirit le saluèrent avec un peu moins de considération et passèrent le cap avec un grand sourire. Fixed Satellite ne se retourna pas. Il scrutait de nouveau l’horizon, tandis que les trois équipiers se trouvaient un peu plus loin nez à nez avec le panneau WELCOME TO SO EASY.


DESERT 66 ROUTE IS SO FUNKY


lundi 16 mars 2009

Fixed Satellite

Pendant que White Spirit vomissait ses tripes à l’arrière de la machine, Gaston de la Narcolepsie chantait à tue-tête sur Aerosmith. Mozzarella regardait au loin avec curiosité, dans l’espoir de voir apparaître quelque chose. Quoi, elle ne savait pas vraiment. Elle guettait. Au bout d’une demi-heure de route, Gaston de la Narcolepsie pointa du doigt un palmier qui se glissait seul dans le décor, avec un petit monticule à son pied, sur lequel semblait se dresser une forme humaine. Mozzarella sentit son pouls s’accélérer. Elle tira énergiquement sur la manche de White Spirit – « c’est le moment, c’est lui ! » pensait-elle – , dont la tête s’était quasiment abandonnée à l’extérieur de la voiture. Gaston de la Narcolepsie baissa le son et murmura solennellement : « Nous y voilà ».
En quelques minutes à peine, ils arrivèrent au point sus indiqué. Au bas du palmier se tenait un homme drapé de bleu, sur un minutieux empilage de cagettes à légumes. Le palmier lui faisait un peu d’ombre, mais pas assez pour qu’il soit complètement abrité du soleil. On ne voyait que ses yeux et son nez. Mozzarella pensa qu’il devait mourir de chaud dans son accoutrement – « Il n’y a jamais quelqu’un qui lui a expliqué le coup de la saharienne ? Ils sont pas cool, entre péquenots du désert ! ».
Gaston de la Narcolepsie descendit de la machine en rageant autant que la précédente fois. Il donna un coup de pied sur la portière - et des vis et des ressorts roulèrent sur le sable - , puis il s’avança à pas réguliers vers l’homme en bleu, qui fixait la fine équipe d’un regard translucide. Arrivé près de lui, Gaston s’inclina légèrement et dit : « Oh Grand Prêtre des Sables, je suis honoré de te retrouver. Voici mes co-équipiers, Mozzarella et White Spirit, qui ont fait un long voyage pour remettre les idées en place à un élu du hasard. » L’homme en bleu ne bougea pas, ni ne répondit. Gaston se tourna alors vers Mozzarella et White Spirit, qui regardaient l’homme d’un air incrédule. « Co-équipiers – et White Spirit marmonna quelque chose comme flambeur ! dans sa barbe – voici le Grand Prêtre des Sables, plus couramment nommé Fixed Satellite, car il ne bouge jamais. C’est le douanier du désert. Il va décider de notre passage en terre de So Easy, où se trouve Don Superhéro – il n’a vraiment pas perdu l’Ouest celui-là, d’ailleurs, tout de même ! Quelle judicieuse idée d’être parti en vacances dans ce coin, on ne peut pas être plus peinard ! » Gaston se tourna à nouveau vers Fixed Satellite, et ajouta : « Grand Prêtre des Sables, mon visa a expiré il y a deux mois. Je n’ai pas eu le temps de le faire renouveler, car il m’a fallu partir précipitamment. Tu sais à quel point il est important pour moi de passer aujourd’hui. Mes co-équipiers n’ont pas non plus de papiers ; plusieurs jours se sont écoulés depuis qu’ils sont partis, ils s’orientent sur les dunes à l’aveuglette et sont usés, et Thomas Hawk du Coconut Bar ne leur a rien dit pour les formalités administratives. Je suis sûr qu’il avait encore refait des intraveineuses de morphine. Je t’en prie, ô grand Fixed Satellite, serais-tu prêt à nous faire l’infini honneur de nous laisser passer ? »
Fixed Satellite ne répondit rien. Il bougea juste ses yeux translucides en diagonale, puis cligna, répéta deux fois son tic. Il inspira fortement, remua le nez, éternua. On entendit un raclement de gorge. Enfin, une bouche sembla articuler derrière le tissu qui couvrait le bas de son visage. « Nothing to declare ? » White Spirit partit dans un grand éclat de rire. « Si, mon vieux. Trois paires de chaussettes sales, un quart de Bounty et un cousin mégalo ! Sans blague, il est drôle, lui, non ? » Gaston de la Narcolepsie se prit la tête entre les mains, et Mozzarella s’arracha les cheveux. Fixed Satellite, qui était déjà bien bronzé, vira au rouge. « Ecoutez, les mecs. Vingt ans que je me prends la tête à réfléchir tout seul sur mes cagettes. Un vieil ancêtre qui m’a refilé ce job, dans l’esprit descendance oblige. Et une place en or, qu’il disait, le salaud ! Que je serais payé à rien faire, que c’était un boulot au calme, sans problèmes de hiérarchie et de type mal embouché à qui rendre des comptes, tu parles ! J’ai un cocotier débile à qui parler toute la journée, et qui en deux décennies a jamais été fichu de me dire bonjour ! Je croise tous les trente-six du mois un tondu et trois pelés qui ont tous la même rengaine, j’ai pas mon visa, c’est pas ma faute, allez soyez sympa, et moi, toujours, je me fais avoir ! Je me dis allez, c’est bon, pour cette fois. Mais aujourd’hui, il y en a marre ! Je vais pas vous laisser passer comme ça, alors qu’à Kennedy Airport il y a deux heures d’attente à la douane ! » Gaston de la Narcolepsie perdit son air détendu. Il regarda Fixed Stallite avec inquiétude, et dit : « Mais alors, qu’est-ce qu’on fait ? » Les yeux de Fixed Satellite se plissèrent, comme s’il souriait. « Une marelle. »



vendredi 13 mars 2009

Invité surprise

« Gaston de la Narcolepsie ! Ca alors ! Mais que faites-vous ici ? » Mozzarella le regardait avec des yeux écarquillés. « Si j’avais pu imaginer un instant vous retrouver là, en plein désert ! C’est extraordinaire, vraiment, les grands esprits se rencontrent ! » Gaston de la Narcolepsie descendit de son engin avec quelques difficultés, en râlant contre les phares qui s’éteignaient sans arrêt – bien qu’il fît grand jour – et contre les portes rouillées dans lesquelles du sable s’était incrusté. « A vrai dire, Mozza, j’ai moi-même pris la décision de vous venir en aide. J’ai eu vent de votre détermination quant à la quête de Don Superhéro. Les nouvelles vont vite. Et comme je me suis dit que mon cousin ne pourrait pas assurer jusqu’au bout (il jeta un regard en biais à White Spirit), j’ai pris la décision de vous donner un dernier coup de main. D’autant plus que j’ai trouvé un traitement révolutionnaire contre la narcolepsie, et si je le prends raisonnablement, je peux parvenir à me tenir éveillé jusqu’à cinq heures d’affilée ! N’est-ce pas extraordinaire, ça ? Quel progrès! » Et tandis qu’il affichait un sourire de dents blanches et brillantes, il ouvrait ses grands yeux de professeur intelligent.
White Spirit s’était tu jusqu’ici. Il n’avait, à vrai dire, pas même regardé son cousin dans les yeux. Il avait laissé son regard se perdre dans les creux et les bosses des dunes, et attendait qu’on le sonne. Gaston de la Narcolepsie s’avança jusqu’à lui, frappa dans ses mains pour faire un petit claquement sec, qui fit sursauter White Spirit, puis dit : « Allez, en voiture ! Tout le monde à bord ! Embarquement immédiat ! Les retardataires ne seront pas remboursés ! Merci de bien vouloir signaler au contrôleur tout colis qui vous semblerait suspect ! Ceci n’est pas un entraînement ! » Mozzarella monta énergiquement dans la machine et s’installa sur le siège arrière. Mais White Spirit restait à l’écart, sans bouger. Gaston de la Narcolepsie s’impatientait : « Alors, tu viens, cousin ? Non, ça y est, c’est là que tu deviens casse-pieds ? On va pas encore mettre quinze ans pour embarquer ! La dernière fois que tu m’as fait le coup, tu avais douze ans et tu portais des bretelles ! Ca suffit maintenant, t’as grandi, t’as fait tes preuves, alors monte et dépêche-toi ! » White Spirit marmonnait de manière incompréhensible. Gaston tapait du pied : « Et si tu as quelque chose à dire, parle ! Comme si il ne faisait pas assez chaud ici et que l’air ne nous tapait pas sur le système ! Et puis zut, tiens ! Je m’agace à parler aussi mal ! Quand je pense à mes conférences chez les guindés, où j’articule à m’en décrocher la mâchoire et où je fais preuve d’une certaine force littéraire, il suffit que je me retrouve entre deux pâtés de sable avec mon demeuré de cousin pour que je me mette à m’exprimer comme un poissonnier ! Et même un poissonnier s’en tirerait mieux, nom d’un chien ! Alors, tu cesses de nous impatienter, oui ou non ? » White Spirit faisait des dessins dans le sable avec son pied sans répondre. Mozzarella prit un coup de chaud : « Mais enfin, White Spirit ! Tu n’es même pas content de faire un bout de chemin en voiture ? Gaston de la Narcolepsie est tout de même fort sympathique de s’être donné tout ce mal pour nous retrouver et nous venir en aide ! Tu pourrais au moins le remercier ! Et puis monte, à la fin ! Ca nous reposera un peu. » White Spirit donna alors un grand coup de pied dans le sable en hurlant : « J’AI LE MAL DES TRANSPORTS ! VOILÀ CE QU’IL Y A ! JE NE SUPPORTE PAS, JE VOMIS TOUJOURS ! ET ENCORE PLUS DANS LES ESPÈCES D’ENGINS DIABOLIQUES DE GASTON, SALETÉS, J’AI TOUJOURS ÉTÉ OBLIGÉ D’Y MONTER, PAR LA FORCE DES CHOSES, ET SURTOUT À CAUSE DE SON CARACTÈRE DE COCHON ! JE ME SUIS JURÉ IL Y A BIEN LONGTEMPS DE NE PLUS METTRE UN PIED DANS UNE SEULE DE SES INVENTIONS ! ET PUIS, IL ME PARLE TOUT LE TEMPS MAL, À LA FIN ! JE SUIS PAS SON BOURRICOT ! » Mozzarella hallucinait de la scène. White Spirit essuyait de grosses larmes de rage, et Gaston de la Narcolepsie soupirait avec désespoir en se tapant la tête contre ce qui lui servait de volant. Mozzarella dit : « Ecoutez, les histoires de famille, je propose qu’on les oublie pour le moment. Faites preuve de diplomatie, les enfants. Chacun ses problèmes trans-générationnels. J’ignore quels sont les liens que vous avez tissés étant gosses, mais au pire, consultez en rentrant, et tout s’arrangera. On y va ? » Gaston de la Narcolepsie mit le moteur en marche, et White Spirit , dans un dernier effort, s’avança jusqu’à la machine et se hissa sur le siège, déjà vert.



jeudi 12 mars 2009

Interlude / Tut tudu tut



- Entre nous, Germaine, tu crois vraiment que si on avait vécu à cette époque, et traversé la crise, Pharaon aurait pris de bonnes décisions pour le peuple ? Parfois, je me dis que Sarkozy a moins la folie des grandeurs. Rien que le coup des pyramides, c’était gonflant…
- Je n’en sais rien, Claudette. Peut-être que Sarko n’est pas fan des triangles, mais il mériterait qu’on lui fasse la tête au carré.
- Ah ah.
- Je savais qu’elle faisait toujours rire celle-ci.
- T’as pas changé Germaine. Même en repro, t’es toujours aussi tordante.
- J’étais quand même accusée de délit de sale gueule, avant.
- On t’a retrouvée où, toi ?
- Dans le tombeau d’un de ces fous, je ne te raconte pas, c’était Beyrouth, complètement coincée entre une Isis en or et un Osiris en terre cuite, je voulais consulter un ostéo en sortant mais pas le temps de dire ouf, il a fallu tout de suite se rendre au centre de moulage.
- T’as pas de chance. Moi, on m’a retrouvée au Louvre. Des types avec des cagoules noires et des lampes torches. Ils m’ont découverte dans une vitrine. C’est là où remonte mon dernier souvenir, je suis sûre qu’ils m’ont droguée pour que j’oublie, ces enfoirés.
- T’en fais pas, Claudette. On finira bien par avoir le fin mot de l’histoire. Dors, maintenant, il faut que nous reprenions des forces.
- Pourquoi faire ?
- Ah oui c’est vrai. Non, pour rien.
- Bonne fin de matinée, Germaine.
- Oui, à toi aussi, Claudette.


jeudi 5 mars 2009

Tout près du but à l'Ouest

Mozzarella avait passé une nuit horrible. Certes, sans doute moins douloureuse que celle de White Spirit, qui poussait des hurlements intempestifs à cause des épines de cactus qu’il n’était pas parvenu à retirer entièrement de ses fesses, mais tout de même, ses cris avaient achevé de briser les tympans de Mozzarella. Les premières couleurs de l’aube apparaissaient déjà, et elle se demandait comment ils allaient faire pour reprendre la route alors que ni l’un ni l’autre ne s’était reposé. C’était sans bien sûr compter sur l’admirable courage de White Spirit, qui ne cessait de répéter : « C’est pas parce que Papa a fait l’Indochine que je dois être aussi valeureux que lui, ça finit par être lourd, ces a priori sur l’hérédité ! Je ne vais pas continuer à souffrir en silence comme un soldat rescapé alors que j’ai l’impression qu’on vient de me passer au massicot ! Mission débile, ce Don Superhéro me gonfle, mais alors me gonfle ! » Et tout en sortant péniblement de son sac de couchage, il continuait de bougonner et de jurer. « Et en plus, au top les dunes pour s’allonger ! Soit la tête en bas, soit les pieds ! Ils ont jamais étudié la question des campeurs et la loi de la pesanteur, les ingénieurs des ponts et chaussées ? P = mg ça leur dit rien ? Faut être sacrément tarte pour avoir créé un sol comme ça ! Des acharnés de la conceptualisation ultra moderne, voilà ce que j’en dis moi ! Revendication d’une fibre créatrice, tu parles ! Tous les mêmes, une bande de mégalos pompeux applaudis par des imbéciles ! Ah, mais c’est qu’elle devait être sympa, la cérémonie d’ouverture du désert ! Je les entends encore s’exclamer : C’est incroyable, une bosse ! Oh, et là, un creux ! Tu m’étonnes que les journalistes ont dû prendre leur pied ! A la une : Grandes Pompes en Tongs ! Je me marre, tiens ! »
Mozzarella préparait ses affaires en silence, et laissait White Spirit à ses élucubrations. Elle savait que Don Superhéro était tout près, et qu’il fallait économiser de l’énergie, car le simple fait de le retrouver n’était pas une fin en soi ; le plus important était de le convaincre d’agir pour les gens qui en avaient besoin. Mozzarella fit un léger signe à White Spirit pour le signal du départ, qui lui emboîta le pas tandis qu’il achevait son speech. Elle était déterminée à trouver rapidement Don Superhéro, à présent. Elle ne voulait pas encore subir une journée harassante dans le désert. Son but était de pouvoir rentrer chez elle et écrire ses mémoires. Elle cherchait déjà un titre original : « Souvenirs » ou « Autobiographie » ou encore « Passé ». Tant de mots forts et percutants, que personne n’avait auparavant employés pour raconter sa vie.
Ils marchèrent deux ou trois heures. Alors qu’il commençait à faire très chaud, White Spirit agrippa brusquement la manche de Mozzarella et dit : « Regarde, Mozza. Il y a quelque chose là-bas. » Mozzarella tourna la tête. « Tiens, c’est vrai. Allons voir. » Ils s’avancèrent précipitamment. Un panneau indicateur les attendait, sur lequel une simple formule était gravée : « PAR LÀ ». Selon la carte que Mozzarella avait hâtivement sortie de son sac, il fallait se diriger vers des points dangereux, où étaient signalés des sables mouvants. White Spirit devint blême. Il jeta violemment son sac au sol, s’assit dessus, et se prit la tête dans les mains : « Je craque ! Je n’en peux plus ! C’est fini ! C’est terrible Mozza ! Don Superhéro n’existe pas, voilà le problème ! On nous mène en bateau depuis le début, j’en suis sûr ! » Mais si White Spirit virait au blanc, Mozzarella avait vu rouge, et se mit à hurler : « Ecoute, White Spirit. Nous sommes forts et vaillants. Nous sommes presque arrivés au bout de nos peines. Maintenant que nous sommes tout près du but, nous n’allons pas abandonner. Je commence à comprendre pourquoi il fallait que je me méfie de toi. Rongé par l’incapacité à aller au bout des choses, hein ? Ne me fais pas le coup du névrosé qui renonce quand il va obtenir ce qu’il veut. On y est, on y reste. Après tu auras des tas de choses à raconter à tes petits copains du Coconut Bar, alors prends sur toi une dernière fois. »
C’est alors qu’un bruit de klaxon retentit derrière eux. Ils se tournèrent brusquement, et découvrirent une machine extraordinaire, avec un type encore plus extraordinaire dedans, qui leur faisait de grands signes d’ahuri.


DESERT ROUTE 66